Méditation et sport de haut niveau

C’était devenu un rituel, un moment clé de leur quête olympique. Réfugiés mi-juin à l’abri du monde, dans l’écrin du centre sportif de Bellecin, un large rectangle de béton et de verre posé sur les rives du lac de Vouglans, au cœur du Jura, les rameurs Matthieu Androdias et Hugo Boucheron ouvraient leur journée de la même façon. Mais séparément. Boucheron restait dans sa chambre tandis qu’Androdias retrouvait leur entraîneur Alexis Besançon dans une salle de soins ouverte sur le ciel par de larges baies vitrées. ‍ C’est là, entre 6 h 30 et 7 heures, avant le petit-déjeuner, qu’ils ont observé une séance de méditation très codée, « cinq minutes sur le souffle, cinq sur le corps, cinq sur les sons, cinq sur les trois ensemble, cinq sur les pensées et cinq sur les émotions et l’ouverture aux autres », précise Besançon avant d’ajouter : « Et nous échangions régulièrement dans la semaine sur la qualité ou la modalité ». Un processus poursuivi de leur arrivée à Tokyo jusqu’à leur sacre en deux de couple le 27 juillet sur le bassin de Sea Forest. « C’est tellement éloigné de la course qu’on voulait faire, lâchait Androdias à l’arrivée. C’était horrible, on a fait des fautes mais on a compensé avec l’envie. C’était une course super collective. » Comme si leur force mentale avait, un peu plus de six minutes durant, su pallier leur imprévisible déroute technique. Comme si ces séances d’introspection quotidiennes leur avaient permis de surmonter les pensées parasites qui auraient dû s’installer. Comme si une part de cet or partagé était né de leur long voyage intérieur. Mais une part seulement car comme le précise leur coach, « le travail de pleine conscience peut être un outil puissant au service de la progression du mental des rameuses et rameurs mais il est hors de propos d’en faire le remède miracle qui serait la clé des podiums. Car il n’est rien sans les fondements technique et physique d’un entraînement de qualité. » Il s’est fait pourtant, ces dernières années, une place grandissante dans la préparation des athlètes de haut-niveau.

Car si la pratique d’origine bouddhiste recouvre aujourd’hui une multitude de branches, au point de pouvoir s’y perdre (voir infographie), toutes tirent leur origine du « smriti », ce mot de la langue sanskrit qui signifie « se souvenir ». « Être en pleine conscience, c’est se souvenir de revenir dans l’instant présent », valide Aurélie Gauchet, docteure en psychologie et spécialiste de la méditation. Revenir dans l’instant présent et se concentrer sur le geste à faire en oubliant ce qui l’a précédé ou ce qu’il pourrait entraîner, le parallèle avec le monde du sport ne s’arrête pas là. ‍

En questionnant dix nageurs français sur les sensations ressenties durant leur meilleure performance, le préparateur mental Jean Fournier a noté deux autres points : le plaisir pris lors de ce laps de temps, relativement court, mais qui leur apparaissait lui-même comme distordu. Sur ce constat et dans la lignée d’une poignée d’autres études arrivées aux mêmes conclusions, le monde de la recherche se permet alors de suggérer avec un peu plus d’insistance la méditation comme technique d’entraînement. Mais lorsque Jean Fournier se met en quête d’une porte d’entrée à ses travaux dans le sport de haut-niveau au début des années 2000, il est l’un des premiers en France, comme ailleurs en Europe. ‍

Bien avant d’être aujourd’hui promue par le gratin du sport mondial, de Cristiano Ronaldo et Raheem Sterling à Novak Djokovic, en passant par Lewis Hamilton, Tom Brady ou LeBron James, la pratique est longtemps restée ignorée de la psychologie du sport, un champ pourtant fondateur de sa période moderne depuis le congrès du Comité international olympique à Lausanne, en 1913. Il faudra attendre la fin du siècle et un témoignage, celui de Phil Jackson, pour que le sport daigne prendre la méditation en considération.

Nouvelles couronnes, mais aussi de quelques moqueries servies par le milieu, qui accuse le coach et son groupe de « s’asseoir en rond dans une pièce-sombre en se tenant par la main ».

A partir des années 2000, une réalité s’impose : certaines limites physiques  ayant été atteintes, la différence peut se faire sur l’aspect mental de la préparation.

L’essentiel est ailleurs : en l’associant au plus haut niveau, le cas Phil Jackson a démystifié la pratique. À partir des années 2000, le monde du sport garde désormais un œil dessus.

(L’équipe, 30/03/2022)